Et les étoiles ont reculé
Les polars

Venturini, sentant sans doute la vague infectieuse se rapprocher, a décidé de se retirer, ne sachant pas encore ce qu'il allait faire de sa vie. En attendant, il vous propose sa dernière aventure dont le titre est inspiré de William Faulkner : "Et les étoiles ont reculé". Le thème est sans doute prémonitoire. Il n'est inutile de préciser que l'ouvrage a été écrit avant la vague #MeToo.
Les circonstances sanitaires ont fait que je n'ai pas eu beaucoup l'occasion de présenter cet opus. J'ai pu néanmoins mesurer l'attachement de mes lecteurs à Venturini. Ils me reprochent, avec gentillesse, de ne pas continuer à le faire vivre dans une nouvelles aventure. Il faut savoir s'arrêter à temps !
Un petit extrait pour vous mettre l'eau à la bouche. (du moins, je l'espère !)
~ 1 ~
Dans un coffre
Un Scénic du commissariat
de Poitiers filait à une allure déraisonnable sur la route sinueuse qui
contournait le bourg de Montamisé, ne tenant aucun compte des lignes continues,
des limitations de vitesse ou des stops. Les automobilistes surpris, s’écartaient
brusquement pour libérer le passage, au risque de se retrouver au fossé. Le
crissement des pneus, le gyrophare et le hurlement d’une sirène, bien inutiles, donnaient à la scène une allure de série télévisée, ce qui n’était pas pour déplaire
au lieutenant Bruno Chalais, accroché au volant. Il se comportait comme un ado
dans l’auto-tamponneuse d’un manège de foire.
- Un mort n’attend
pas, prétendait-il avec sa mauvaise foi habituelle.
Le macchabée en
question avait été découvert au petit matin dans une clairière isolée, à
quelques centaines de mètres du Grand Recoin, en bordure de la forêt de Moulière,
abandonné dans le coffre d’une voiture. On n’en savait pas davantage pour l’instant.
Le policier, amateur
depuis toujours de grosses cylindrées et de vitesse, n’aurait pour rien au
monde laissé ses collègues conduire. Il malmenait le véhicule de police, le
traitant de chèvre ambulante. Tout excité il lâcha :
- Quelle connerie, ces
quatre-vingts kilomètres à l’heure !
Il était allergique à
tout ce qu’il considérait comme une restriction des libertés. Etonnant certes
quand on est chargé de faire appliquer la loi. Cela ne le formalisait pas le
moins du monde, si on évoquait cette contradiction devant lui.
Sa colère noire en
partie feinte, ne rencontrait aucun écho chez ses collègues. La lieutenante
Isabelle Pontreau, installée à l’arrière, avait esquissé un vague sourire, sans
se donner la peine de répondre. Totalement inutile, estima it-elle. C’était du Chalais pur jus ! Elle
ne tenait pas à ce qu’il change.
Le commandant Mario
Venturini, perdu dans ses pensées, paraissait insensible à cette agitation. La
vitesse excessive et les commentaires lapidaires de son adjoint ne le perturbaient
pas en apparence. Il évoluait manifestement dans une autre galaxie.
Venturini aimait ces
instants précieux, trop rares à son goût, où une enquête démarrait, ouverte sur
tous les possibles. Un nouvel univers inconnu à explorer où des individus
improbables surgissaient avec leur histoire et surtout leurs zones d’ombre. Des
personnages qu’il n’aurait jamais croisés dans la vie courante. Se perdre dans
les sombres méandres de l’âme humaine, avant de faire éclore la vérité. Sa
longue expérience lui avait appris que celle-ci pouvait avoir des contours
flous, être fluctuante, parfois multiple. Et le plus souvent difficile à faire éclater.
« La vérité n’existe
pas ; il n’y a que des faits ou des énoncés vrais », soutenait l’un
de ses philosophes préférés.[1]
Et encore ! Le commandant repensait à certains témoignages de bonne foi
qui rendaient un compte très spécieux d’événements passés. Le doute systématique
lui paraissait un outil indispensable pour affronter le réel. Le commissaire
Lebeau, son patron, était pétri de certitudes, ce qui compliquait leurs
relations.
Il se frotta
brusquement les mains, comme pour marquer sa satisfaction, au grand étonnement
de ses voisins.
La routine commençait
à s’installer dans sa vie depuis plusieurs mois ; elle allait être reléguée
aux oubliettes. Pour quelque temps sans doute, avant de se réinstaller
insidieusement. Il n’était pas fait pour les horaires de bureau, il aimait l’inédit,
l’imprévu. Tout comme il détestait rédiger des rapports à la chaîne, parcourus
à la va-vite par des supérieurs exigeants, avant d’être relégués dans des
entresols poussiéreux. Subir les humeurs changeantes d’un chef, qui, parfaite girouette,
savait s’aligner sur les vents dominants, lui était insupportable. Et que dire
de certains de ses subordonnés, cherchant avec une louable constance, à se
faire oublier ? L’ordinaire n’était pas sa tasse de thé ! Et pourtant
l’ordinaire constituait le quotidien de tout policier !
Son amie libraire,
Cathy Menault, avait entamé, l’air de rien, une offensive discrète pour qu’il déserte
son appartement et vienne vivre avec elle, pressentant qu’il ne l’accueillerait
pas chez lui. Il avait feint de ne pas comprendre : il était devenu expert
en force d’inertie. Autant il éprouvait un plaisir toujours renouvelé à retrouver
Cathy quand l’un ou l’autre en manifestait le désir, autant il redoutait de
s’engager sur le long terme. Cette forme de courage ou d’inconscience lui
manquait.
[1] André
Comte-Sponville, Dictionnaire philosophique
Merci à mon ami Olivier pour cet article paru dans son blog en juillet 2021. Il n'a pas compris que c'est Venturini qui a souhaité se retirer !
Le romancier Jean-Luc Loiret signe avec « Et les étoiles ont
reculé », un polar, paru en septembre 2019 et dont la promotion et la
diffusion ont été freinées par la crise sanitaire.
Présenté comme la dernière enquête du commandant Venturini, ce huitième
polar tient ses promesses avec ce flic philosophe disciple d’André
Comte-Sponville.
L’enquête sur la
mort scabreuse d’un séducteur impénitent dont la liberté des mœurs remontent à
une époque où la société prônait la tolérance de certaines pratiques affectant
la vie affective et sexuelle des mineurs, des pratiques encouragées par des
intellectuels de premier plan, lesquels aujourd’hui ne se souviennent
d’ailleurs plus d’avoir signés une tribune dans « LE MONDE » du 26
janvier 1977 rédigée par Gabriel Matzneff.
Sans guère d’indices, Venturini et ses adjoints passent au crible les
emplois du temps des candidats au meurtre. Malgré les pressions du
commissaire et du procureur soucieux de classer au plus vite une affaire
entachant l’image d’une petite ville de province, au risque d’une erreur
judiciaire, Venturini mène son enquête faisant sienne cette citation du
philosophe : « La vérité n’existe pas, il n’y a que des faits ou
des énoncés vrais ».
Au terme de son enquête, Venturini et son équipe parviendront à démasquer
un coupable inattendu.
Avec ce onzième livre, Jean-Luc Loiret vient d’entamer sa tournée d’adieu
jurant que ce livre est le dernier.
Pour ma part, j’espère bien qu’il s’agit d’une tournée d’adieu à la Charles
Aznavour qui, souvenez-vous, revenait chaque année.
Les lecteurs de Jean-Luc n’ont pas donné leur accord à ce retrait et moi
non plus, car sans mon complice de sketches improvisés lors des salons du
livre, je risque de m’ennuyer ferme !
Un livre à lire de nature à réveiller les consciences.
Olivier Blochet
Le 30 juillet 2021




Dans le 7
17-23/09/2019 :
Comme
d’habitude, l’auteur poitevin vise juste et nous gratifie de quelques formules
de style dont il a le secret.
La NR de ce
jour confirme hélas votre décision de ne plus écrire, sachez qu’étant fidèle lecteur
j’en suis navré et peiné, car votre dernier polar est passionnant et digne des
plus grands écrivains.
Le 2 octobre
2016, vous avez un écrit de votre avant-dernier polar où je citais un titre
« Coupable innocence », titre d’un futur bouquin toujours pas écrit.
Le hasard est curieux et bizarre, car ce projet de roman, le corps de la
victime est transporté dans la forêt de Moulière. Tous mes personnages de ce
roman avaient des noms palindromes. Pourquoi ? Je ne sais pas ; le
palindrome m’a toujours attiré.
Vous allez me
manquer, ainsi que les aphorismes du philosophe André Comte-Sponville,
aphorismes que je recopie dans un abécédaire.
Puisque
j’écrivais que le hasard est curieux et bizarre, ci-dessous, une citation
« Le hasard est le plus grand romancier du monde ; pour être fécond,
il n’y a qu’à l’étudier. » Honoré de Balzac.
Merci pour
l’ensemble de votre œuvre et des heures de lecture. Bravo.
Souhaitant une
réponse à cette missive, pour finaliser notre entente et le plaisir du livre et
de la lecture.
Cordialement.
Un fidèle
lecteur.